samedi 25 février 2012

Winding roads in northern woods

Je clame haut et fort à qui veut l'entendre que le black metal, c'est autre chose qu'une production crasseuse avec une batterie folle et une voix de porcinet égorgé. Aujourd'hui, la preuve en écoute.
J'ai eu l'occasion d'écouter quelques bons morceaux plutôt intéressant. Le black metal aujourd'hui, c'est un vaste laboratoire. C'est une musique qui recèle de nombreuses potentialités d'évolution et d'appropriation pour qui a envie d'en jouer. Avant, tout c'est une musique qui vient des tripes, un cri primitif. Le black metal est toujours lié à la nature parce que par essence, il veut exprimer ce qui est fondamental en nous. Donc nos premières sensations, en ce sens primitives. Le vent, le froid, l'immensité de la nature, la terreur, et la solitude de celui qui prend conscience dans un vaste monde qui ne répond pas à ses appels. Eh bien sûr, la proximité du néant.

Bon, commençons l'écoute avec Sui Cadere. Voilà un groupe de black dépressif québécois plutôt pas mal (et il y en d'autres, ça doit être à cause des sombres forêts canadiennes). Un son propre, d'abord. Sans pour autant être trop lissé. Pour ce titre, ils ont choisi une oeuvre écrite par un poète québécois qui oscille entre Baudelaire et la caricature de Baudelaire. Il y a de très beaux effets de mélodie et d'images, mais je ne suis pas entièrement convaincue pour ce poème, bien qu'il ait un fond troublant et sinistre qui m'attire plutôt. En tout cas, l'interprétation musicale me plaît plutôt. Je vous laisse lire et écouter :



Le Cercueil

Au jour où mon aïeul fut pris de léthargie,
Par mégarde on avait apporté son cercueil ;
Déjà l'étui des morts s'ouvrait pour son accueil,
Quand son âme soudain ralluma sa bougie.

Et nos âmes, depuis cet horrible moment,
Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes ;
Nous croyions voir l'aïeul au fond des fosses lourdes,
Hagard, et se mangeant dans l'ombre éperdument.

Aussi quand l'un mourait, père ou frère atterré
Refusait sa dépouille à la boîte interdite,
Et ce cercueil, au fond d'une chambre maudite,
Solitaire et muet, plein d'ombre, est demeuré.

Il me fut défendu pendant longtemps de voir
Ou de porter les mains à l'objet qui me hante...
Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante
Où chaque homme est un tronc marquant mon souci noir,

J'ai grandi dans le goût bizarre du tombeau,
Plein de dédain de l'homme et des bruits de la terre,
Tel un grand cygne noir qui s'éprend de mystère,
Et vit à la clarté du lunaire flambeau.

Et j'ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil
Qui me troubla jusqu'en ma plus ancienne année ;
Assaillant d'une clé sa porte surannée
J'ai pénétré sans peur en la chambre de deuil.

Et là, longtemps je suis resté, le regard fou,
Longtemps, devant l'horreur macabre de la boîte ;
Et j'ai senti glisser sur ma figure moite
Le frisson familier d'une bête à son trou.

Et je me suis penché pour l'ouvrir, sans remord
Baisant son front de chêne ainsi qu'un front de frère ;
Et, mordu d'un désir joyeux et funéraire,
Espérant que le ciel m'y ferait tomber mort.

(Émile Nelligan - Canada 1879-1941)

**Attention coup de coeur**

Poursuivons avec un groupe que je découvre malheureusement sur le tard. Ce groupe a déjà une putain de carrière et une grande reconnaissance dans le monde du black, et c'est tout à fait mérité. Voilà du black qui n'hésite pas à explorer des espaces musicaux nouveaux. C'est à la fois original et poignant, toujours torturé, et d'une grande subtilité. Un son profond, équilibré, puissant dans la retenue. Un groupe qui n'a pas peur de sortir du black metal, de chanter, d'expérimenter des atmosphères planantes. Structuré, mélodique, précis. Et en plus, c'est l'un des rares groupes de black qui utilise sa langue natale, ici le suédois. J'ai nommé Shining.
(Deux chansons extraites du dernier album sorti en 2011).





Je vous laisse là-dessus, la suite bientôt :)